À la rencontre de Valentin Musso
Publié le 12/12/2024
© Bénédicte Roscot
Anciennement professeur de littérature et de langues anciennes et aujourd’hui auteur de romans policiers et thrillers, Valentin Musso excelle dans le genre du polar et ses livres sont traduits dans plusieurs langues. À l’occasion de la parution de son dernier roman Le Mystère de la Maison aux Trois Ormes en grands caractères, nous lui avons posé nos questions.
Votre dernier roman, Le Mystère de la Maison aux Trois Ormes, est rempli de références littéraires à Agatha Christie, Gaston Leroux, Edgar Allan Poe… Et le cadre même du roman (sans rien dévoiler) nous rappelle ces auteurs emblématiques – plusieurs personnalités conviées dans une maison, une enquête en huis clos, un meurtre commis dans une pièce verrouillée de l’intérieur… Ces auteurs sont-ils des sources d’inspiration pour vous ?
Tous ces auteurs, auxquels j’ajouterais Conan Doyle, m’ont fasciné et façonné durant mon adolescence. Ce sont des références incontournables pour moi. C’est par ces écrivains que j’ai découvert le roman policier. Je passais des étés entiers à lire les intégrales de Hercule Poirot et de Sherlock Holmes. C’est de là que me vient mon goût pour les huis clos, les mystères en chambre close et les meurtres impossibles à résoudre. Le Mystère de la Maison aux Trois Ormes est un hommage à cette littérature populaire et policière de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il instaure un jeu permanent avec le lecteur à travers des références et des clins d’œil. Néanmoins, toute la difficulté de l’écriture était de ne pas tomber dans le pastiche ou la parodie. Je voulais avant tout revisiter un genre très codifié en le modernisant et en lui faisant prendre une direction inattendue.
Comment se déroule le processus d’écriture et la construction de l’intrigue d’un roman à suspense aussi dense que celui-ci ? Commencez-vous par écrire la trame et les étapes de l’histoire ? par dresser un portrait des différents personnages ?
Je ne fais pas partie de ces auteurs qui passent des mois à élaborer un synopsis ultra-détaillé de leur histoire. Je suis plutôt de l’école de Stephen King, qui se lance dans l’écriture à partir d’une idée forte, qu’on doit être capable de résumer en une phrase. En revanche, j’ai toujours précisément en tête les principaux twists et surtout la fin, qui est une boussole pour moi. Jean-Christophe Grangé dit que lorsqu’il débute un livre il connaît mieux la fin que le début. Je pourrais dire la même chose. J’organise toute mon histoire à partir de la révélation finale. Quand elle est claire dans votre tête, tout est plus facile. Ensuite, je me laisse pas mal de liberté quant à la manière d’y arriver. Des idées vous viennent pendant l’écriture, elles peuvent avoir une influence sur le récit mais ne doivent pas vous faire perdre de vue l’unité d’ensemble. C’est la même chose pour les personnages. Je n’ai pas besoin d’élaborer de fiches détaillées. Dès que je les vois physiquement, que je cerne leurs principales caractéristiques morales, j’essaie de les faire vivre sur quelques pages pour voir si j’ai envie de passer plusieurs mois en leur compagnie. Ils se construisent donc en partie au cours de l’écriture.
Quels aspects aimez-vous le plus dans le genre du thriller et du roman policier ? Aimez-vous ou aimeriez-vous explorer d’autres genres littéraires ?
Quand je commence un roman, je ne me dis jamais : « Je vais écrire un policier ou un thriller ». Je raconte simplement l’histoire que j’ai en tête. Le genre est un peu un prétexte, une facilité pour vous classer dans les rayons des librairies. J’aime bien sûr le policier parce qu’il offre une grande liberté et permet de divertir tout en abordant à peu près tous les sujets possibles, mais je me situe le plus souvent à la frontière de plusieurs genres. J’aime offrir à chaque fois une histoire qui ne ressemble pas à la précédente, j’essaie de mélanger les tonalités et les atmosphères. Je crains toujours de m’enfermer des schémas préfabriqués. Le Mystère de la Maison aux Trois Ormes, par exemple, commence comme un polar à l’ancienne, puis il s’aventure dans d’autres genres, plus surprenants, que je ne peux pas révéler au risque de dévoiler des éléments-clés de l’intrigue. J’admire beaucoup des auteurs comme Patricia Highsmith, Dona Tartt ou Thomas H. Cook, qui partent souvent d’une intrigue policière mais s’en détachent progressivement pour privilégier la dimension psychologique de leurs personnages.
Dans Le Mystère de la Maison aux Trois Ormes, le personnage du commissaire Louis Forestier déclare : « À force d’imaginer des intrigues, ne finit‑on pas par prendre la fiction pour la réalité ? » On retrouve beaucoup cette question de l’entremêlement entre fiction et réalité tout au long de l’histoire. Que lui répondriez-vous ? Êtes-vous d’accord avec cette idée ?
Cette frontière mince entre fiction et réalité est pour moi une source d’inspiration, une formidable matière narrative, que j’avais déjà explorée dans L’Homme du Grand Hôtel, qui mettait en scène deux écrivains. Quand vous passez l’essentiel de vos journées à imaginer des histoires, vous êtes obligé de vous poser des questions sur l’influence que peut avoir la fiction sur votre vie réelle et réciproquement. Mais j’arrive heureusement à faire la part des choses. Je consacre beaucoup de temps à ma vie de famille, elle me permet de prendre de la distance par rapport à mes livres. Je crois que l’écriture nécessite d’avoir une vie personnelle très équilibrée car cette passion peut vite devenir dévorante et implique aussi beaucoup de moments de solitude.
Pour finir avec un tout autre sujet, dans votre précédent roman Dans mon obscurité, Emma, l’un de vos personnages principaux, est atteinte de cécité, et travaille en tant que relectrice dans une maison d’édition de livres en braille. Vous êtes-vous documenté pour cet ouvrage sur le monde de l’édition en braille ou étiez-vous déjà sensibilisé et informé sur la question de la lecture pour les personnes non-voyantes ?
J’ai été enseignant pendant plus de quinze ans et je travaillais dans un établissement qui accueillait une ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire). J’ai donc été dans ma profession sensibilisé très tôt au handicap, notamment visuel. Peut-être n’aurais-je pas écrit Dans mon obscurité si je n’avais pas eu cette expérience. Je me suis évidemment documenté sur le braille et sur les personnes malvoyantes ou non-voyantes, notamment par le biais de témoignages personnels, mais j’ai essayé de me détacher de cette documentation pendant la période d’écriture proprement dite. Je ne voulais surtout pas réduire le personnage d’Emma à son handicap, qui n’est pas une identité. Elle dit elle-même « regarder » des films, il est très peu question de canne blanche, elle utilise énormément son téléphone, parfois de manière détournée. Le plus important pour elle est de pouvoir conserver un maximum d’autonomie sans dépendre des autres. Il était essentiel pour moi de ne pas donner de vision caricaturale du handicap, comme c’est souvent le cas dans les fictions, et de montrer qu’il ne devient facteur d’exclusion que lorsque l’environnement n’est pas adapté. J’ai mesuré pendant l’écriture de ce livre tous les efforts qu’il restait à faire en la matière. Par exemple, la loi « handicap » votée en 2005 n’est pas totalement appliquée. Tous les lieux recevant du public devraient être accessibles depuis une dizaine d’années, ce qui est loin d’être le cas. J’avais à cœur en écrivant ce roman de sensibiliser les lecteurs à cette question.
Retrouvez Le Mystère de la Maison aux Trois Ormes, ainsi que tous les autres romans de Valentin Musso en grands caractères sur notre site, notamment Dans mon obscurité et L’Homme du Grand Hôtel.