À la rencontre de Véronique Ovaldé


Photo Pascal Ito © Flammarion


Véronique Ovaldé est une écrivaine, romancière et novelliste française née en 1972, dont les romans sont traduits dans de nombreuses langues. À l’occasion de la sortie de son recueil de nouvelles intitulé À nos vies imparfaites qui a remporté le prix Goncourt de la nouvelle 2024, elle nous a fait l’honneur de répondre à nos questions.


Pourriez-vous nous parler de votre rythme d’écriture ? Est-il régulier ? Irrégulier ? Écrivez-vous tous les jours ? Toutes les semaines ? Tous les mois ?

Quand je suis plongée dans l’écriture d’un roman, mon rythme est très régulier. Il est quotidien. Le texte me colonise. Je me réveille chaque nuit et je ne peux plus me rendormir, je pense au livre et je me lève… 

Dans quel processus d’écriture êtes-vous aujourd’hui ? Est-ce toujours intuitif ? Ou cela a-t-il changé avec le temps ? Avez-vous adopté certains comportements / tics d’écriture réguliers ?

Je reste une improvisatrice. Il m’est en général impossible de parler du livre en cours. J’ai une vague idée de l’endroit où je vais. J’écris la nuit vers 3 heures du matin. C’est un moment parfait pour moi. C’est l’heure la plus obscure. Les noctambules sont partis se coucher et les lève-tôt, ceux qui prennent le premier métro, ne sont pas encore debout. Il existe, à cette heure étrange, une intimité spéciale entre le rêve et l’éveil.

Et concernant les rituels (l’écriture est un rituel et s’accompagne en effet de rituels), la nuit je bois de l’eau pétillante glacée et je mange du chocolat noir…

Comment entendez-vous votre rapport au livre avec votre parcours ? Voyez-vous le livre comme un objet ? une œuvre d’art ? de simples écrits ? Notamment parce qu’enfant, il n’y avait aucun livre chez vous et vous vous cachiez pour lire à la bibliothèque, et parce que vous avez été fabricante, puis éditrice et autrice : des métiers très différents qui ont tous un rapport avec le livre.

Le livre m’est indispensable. Il a toujours été mon recours. Je n’aime pas lire sur écran – je mémorise moins bien, l’« espace » de la page ne me convient pas, j’aime avoir la totalité du livre entre les mains, pouvoir m’y promener, et puis j’écris sur les livres que je lis. Je prends des notes en permanence. Mon marque-page est toujours un stylo. Donc je ne sacralise pas l’objet livre. Je le trouve simplement d’une praticité admirable !

Est-ce que métier d’éditrice n’interfère pas avec le métier d’autrice ?

Je peux être éditrice une partie du temps et autrice une autre partie du temps. J’ai toujours eu une activité professionnelle en plus de mon activité première d’écrivain. Ça m’a toujours semblé sain (mais éreintant). Être écrivain, quand je suis éditrice, me permet essentiellement de me mettre à la place de mon interlocuteur-auteur, de partager ses doutes, de comprendre ses aspirations.

Vous remportez en 2023 le prix des Romancières pour votre roman Fille en colère sur un banc de pierre. Ce prix, financé par la Ville de Saint-Louis et créé en 1999 par Jacqueline Monsigny, récompense l’auteur d’une œuvre en prose de langue française « susceptible de toucher un large public par son caractère universel ». Avez-vous l’impression d’écrire des œuvres à caractère universel ? Avez-vous le ressenti dès le début de l’écriture d’un roman ou dans le développement de celui-ci, d’écrire de manière à ce que cela soit universel ?

Je ne suis pas sûre que ce que j’écris recèle consciemment un caractère universel. Cela dit, je cherche dans chaque livre que je lis – et donc dans chaque livre que j’écris – quelque chose qui pourrait m’aider à m’accommoder de ma nature humaine – et de tout ce qu’elle implique. C’est notre lot commun, n’est-ce pas ? Comment vivre en n’ignorant rien de notre condition fugitive. Comment vivre avec ce qu’on sait de notre nature humaine : avidité, espoir, amour, désinvolture et abus de pouvoir…

Faut-il, selon vous, que vos lecteurs puissent s’identifier à vos personnages ? Qu’ils se lisent en eux ? D’autant plus qu’il y a une alternance de narrateurs masculins et féminins dans À nos vies imparfaites. Et vous identifiez-vous vous-même aux personnages de ce roman ?

Je ne pense pas à cette affaire d’identification quand j’écris. Certains personnages de À nos vies imparfaites pourraient être vaguement antipathiques d’ailleurs (Lazlo ou le Baron ou Lili…). Dans l’écriture de nouvelles, ce que je trouvais merveilleux, c’est justement le côté sautillant. Je passe d’un personnage à l’autre – et je m’amuse à les faire revenir, à les faire réapparaître. Je trouvais certains d’entre eux si attachants que je ne pouvais que les accompagner plus longtemps (comme Bob ou Eva Coppa). J’aime créer un lacis de liens entre les personnages, entre les vies… A connaît B qui connaît C qui connaît A.

Vous vous adressez parfois directement au lecteur. Pour quelles raisons ressentez-vous le besoin d’interagir avec lui ?

C’est le pacte de lecture. Je vous raconte une histoire par le biais du langage et de mon imagination. Pourquoi faire semblant de ne pas être présente ?

Dans À nos vies imparfaites, vous intervenez beaucoup en tant que narratrice non neutre avec parfois l’usage de parenthèses. À quoi cela est-il lié ? Est-ce lié au fait que vous soyez éditrice ?

C’est lié à la question précédente. Mais au-delà de cette position-narratrice, mes interventions (je parle de mon père et de mes amies par moment) me permettent l’humour. Le pas de côté. L’humour est mon remède absolu.


À nos vies imparfaites est disponible dès aujourd’hui en police Luciole 20pt. Retrouvez également deux autres ouvrages de Véronique Ovaldé en grands caractères : Soyez imprudents les enfants et Fille en colère sur un banc de pierre.


Juliette Loret